Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/123

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pières orientales, le nez hébraïque, la bouche mince et fière, et les cheveux assortis à la couleur de la peau.

Le patron taillé, il ne s’agissait plus que de trouver une femme qui s’y ajustât. Rodolphe pensa judicieusement que ce ne serait pas dans sa chambre qu’il la rencontrerait. Aussi il choisit le plus extravagant de ses gilets, le plus fashionable et le plus osé de tous ses habits, le plus collant de ses pantalons, il revêtit le tout, et, armé d’un lorgnon et d’une badine, il descendit dans la rue, et s’en alla aux Tuileries dans l’espoir de quelque rencontre heureuse et propre à son destin.

Il faisait le plus magnifique temps du monde ; à peine quelques nuages floconneux se bouclaient-ils dans le bleu du ciel au gré d’une brise chaude et parfumée ; le pavé était blanc, et la rivière miroitait au soleil ; il y avait foule dans la grande allée et dans les contre-allées ; le ruisseau d’élégantes et de dandys avait peine à couler entre les deux quais de chaises et de spectateurs. Rodolphe se mêla à la cohue, et ajouta un flot de plus au torrent.

Il s’en allait coudoyant ses voisins de droite et de gauche, fourrant sa tête sous le chapeau des femmes, et les regardant entre les deux yeux avec son binocle. Il s’élevait sur son passage une longue traînée de malédictions et de : Prenez donc garde ! entrecoupés çà et là du : Oh ! admiratif de quelque merveilleux, pour son gilet ou sa cravate ; mais, entièrement à son idée, Rodolphe ne faisait guère