Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/124

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plus d’attention aux éloges qu’aux injures, et, à chaque visage rose et frais encadré dans le satin et la moire, il se reculait comme s’il eût vu le Diable en personne.

Ce n’est pas qu’il ne rencontrât quelques figures pâles et décolorées ; mais c’étaient des pâleurs de cire, des pâleurs de fatigue et d’excès, ou bien des transparences de nacre de perle, des diaphanéités de blondes et de poitrinaires, mais non pas la pâleur mate et chaude, le beau ton méridional dont il s’était fait une loi d’être épris. Ayant parcouru trois ou quatre fois la longueur de l’allée et cela sans succès, il se préparait à sortir, quand il se sentit prendre le bras. C’était son camarade Albert : ils sortirent ensemble et s’en furent dîner.

Les passions dévorantes qui bouillonnaient dans son sein lui avaient aiguisé l’appétit : il mangea encore mieux qu’à son déjeuner, et se grisa très-confortablement, ainsi que son honorable ami.

Le dîner achevé, nos deux drôles s’en furent à l’Opéra.

Rodolphe, quoique passablement aviné, ne perdait pas son idée de vue ; un secret pressentiment lui chantait tout bas à l’oreille qu’il trouverait là ce qu’il cherchait. Quand il entra dans la salle, on jouait l’ouverture. Un torrent d’harmonie, de lumière et de vapeur chaude l’enveloppa soudain et le prit aux jambes. Le théâtre oscilla deux ou trois fois devant ses yeux ; les tibias lui flageolaient d’une étrange manière ; le lustre, dardant dans ses prunelles de