Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/126

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La lumière du gaz et des bougies glissait sur les épaules satinées et lustrées par leurs mille reflets, les yeux papillotaient, bleus ou noirs ; Rodolphe ne poussait pas l’inspection plus loin, et il passait à une autre femme quand il apercevait la moindre teinte d’azur dans une prunelle. Les gorges demi-nues se modelaient hardiment sous les blondes et sous les diamants, les petites mains gantées de blanc et agitant les cassolettes émaillées, se posaient avec coquetterie sur le rebord rouge des loges. La soie, le velours, les chairs blondes et argentées, tout cela chatoyait et resplendissait étrangement ; mais, parmi toutes ces têtes calmes et animées, belles ou jolies, parmi tous ces minois chiffonnés ou spirituels, le malheureux et passionné Rodolphe ne découvrait pas son idéal. Il en avait bien trouvé çà et là quelques morceaux disséminés dans plusieurs femmes : un œil dans celle-ci, la bouche dans celle-là, les cheveux dans cette autre, le teint dans une quatrième, mais jamais tout cela ensemble, en sorte qu’il eût été obligé d’avoir au moins dix femmes à adorer partiellement pour compléter tout à fait le romantique patron qu’il s’était taillé. Ce n’est pas que cela lui eût déplu au fond, car il était un peu Turc sous ce rapport, et la polygamie, je ne sais trop pourquoi, ne lui paraissait pas un crime aussi abominable qu’il le paraît à nos platoniques dames françaises.

Elles conçoivent très-bien qu’une femme ait deux amants, mais qu’un homme ait deux maîtresses, fi donc ! elles crient à la monstruosité, ou se mettent