Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/125

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longues houppes filandreuses de rayons prismatiques, le forçait à cligner les paupières ; la rampe, s’interposant comme une herse de feu entre les acteurs et lui, ne les lui laissait voir que comme des apparitions effrayantes ; la tête lui tintait comme si un démon invisible lui eût frappé avec un marteau les parois internes du crâne, et il apercevait vaguement les notes de musique, sous la forme de scarabées de diverses couleurs, voltigeant et sautelant par la salle, le long des cintres et des corniches, et rendant un son clair lorsqu’elles frappaient le mur de leurs élytres, à peu près comme les hannetons lâchés dans une chambre, qui fouettent les carreaux de leurs ailes, et se vont cogner au plafond avec un tintamarre horrible.

Rodolphe, qui avait soutenu plus d’un duel avec l’ivresse, ne se déconcerta pas pour si peu ; il prit bravement son parti : il boutonna son frac jusqu’au col, remonta sa cravate, prit sa badine entre ses dents, enfonça ses deux mains dans ses goussets, écarquilla les yeux pour ne pas s’endormir, et fit la contenance la plus héroïque du monde.

Peu à peu les fumées du vin se dissipèrent, et, prenant la lorgnette des mains de son ami, qui ronflait théologalement, et dont la tête allait et venait comme un balancier de pendule, l’intrépide Rodolphe se mit à regarder la salle de haut en bas et de bas en haut, et à chercher dans ce triple cordon de femmes de tout âge et de toute condition la reine future de son cœur.