Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/132

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Ainsi, tu me pourrais présenter ?

— Assurément, rien n’est plus facile. Je la verrai demain, je lui parlerai de toi : c’est une affaire faite.

La toile tomba : la salle se vida peu à peu. Les deux amis se prirent le bras et sortirent. Rodolphe vit sous le péristyle madame de M***, qu’Albert salua et à qui elle rendit son salut, d’un air de familiarité. Elle était aussi belle de près que de loin, et, quand elle monta en voiture, Rodolphe put apercevoir un pied qu’on aurait trouvé petit dans un bas espagnol, et une jambe comme bien peu pouvaient se vanter d’en avoir.

— Voici un pied d’Andalouse, se dit-il à part lui : ceci est d’une bonne couleur, et ma passion se culotte tout à fait. Je veux perdre mon nom et manquer une première représentation d’Hugo, si je ne deviens pas fou de cette femme avant qu’il soit deux jours d’ici.

De retour chez lui, quoiqu’il fût une heure du matin, il se mit à donner du cor à pleins poumons ; il déclama à tue-tête deux ou trois cents vers d’Hernani ; puis il se déshabilla, jeta son gilet sous la table et ses bottes au plafond, en signe d’allégresse ; après quoi il se coucha, et dormit sans débrider jusqu’au lendemain midi.

Dès qu’il fut réveillé, il pensa à la belle madame de M***, sa future passion. Il serait dans l’ordre qu’il en eût rêvé toute la nuit ; c’est ainsi que cela se pratique dans les romans d’amour et les la-