Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/133

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mentations élégiaques, mais je dois à ma conscience d’historien d’affirmer le contraire. Rodolphe, cette nuit-là, n’eut qu’un cauchemar abominable où il se voyait traversant le bois de Boulogne sur une rosse de louage, avec un habit de 1828, un gilet à châle, un pantalon à la cosaque et une colonne corinthienne pour chapeau ; il ne rêva rien de plus, je vous jure. Ah ! si ; il songea encore qu’on lui servait à déjeuner une semelle de botte au beurre d’anchois, avec les clous et les fers, ce qui le mit dans une si grande fureur, qu’il se réveilla jurant comme plusieurs charretiers.

Revenant à la rencontre inopinée qu’il avait faite la veille, il se prit à réfléchir que jusques-là sa passion d’artiste s’emmanchait exactement comme aurait pu le faire celle d’un marchand de bougies diaphanes ou même celle d’un député, ce qui l’humilia profondément, et le jeta dans un abattement difficile à décrire.

Il fut presque sur le point de renoncer à celle-là, et d’en chercher une autre ; ensuite il se ravisa, et résolut de pousser l’aventure jusqu’au bout, faisant cette réflexion judicieuse que l’Iliade commençait fort simplement, et n’en était pas moins un assez beau poëme ; que Roméo et Juliette commençait fort simplement aussi, par une conversation entre deux valets, ce qui ne l’empêchait pas d’être une très-passable tragédie.

— Vive Dieu ! se dit-il en se frappant le front, la femme est belle, c’est le principal, et le canevas du