Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/137

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— C’est du cavalier Bernin frotté d’un peu de Dante ; peut-être y a-t-il aussi un filet de concetti shakspearien, mais c’est peu de chose. Or, ceci est un madrigal à la Julia Grisi, ou je me trompe fort.

— Comment ! cria Rodolphe d’un ton effrayé, j’ai fait ces vers pour madame de M*** dont je suis éperdûment épris depuis hier soir. Je suis décidé à me brûler la cervelle, si dans un mois je ne suis pas parvenu à m’en faire adorer.

— En vérité, il n’y a qu’un petit inconvénient, c’est que madame de M*** n’est pas Italienne le moins du monde, attendu qu’elle est née à Château-Thierry, ce qui est, je crois, une raison suffisante pour ne pas l’être.

— Ah ! une infinité de tuyaux de cheminées qui me tombent sur la tête !… Tenez-vous donc tranquille, Tom, et ne sortez pas vos pattes hors de la couverture, c’est indécent… Comment ! cette méchante madame de M*** qui se permet d’être née à Château-Thierry, et d’avoir l’air plus italien que l’Italie elle même ; c’est tout à fait illégal ! c’est abominable ! Et ma passion donc, et ma pièce de vers, qu’est-ce que j’en vais faire ? Cela est trop spécial pour que l’on puisse s’en servir ailleurs. Si c’était des vers d’âme, cela s’applique à tout le monde, même à celles qui n’en ont pas ; mais il y a un signalement en règle dans ces misérables rimes : un mouchard ou un maire n’aurait pas mieux fait. Diable ! douze vers dantesques et une ébauche de passion perdus, on regarde à cela. Je ne puis pour-