Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/143

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nageait comme une truite et qui aurait remonté une écluse de moulin, se sentant regardé, y mit de l’amour-propre, et se prit à tirer sa coupe avec toute la pureté imaginable. Son chapeau flottait près de sa badine, il les repêcha tous deux, mit le chapeau sur sa tête, et, nageant d’une main, il faisait siffler sa cravache de l’autre, au grand ébahissement de tous les gobe-mouches.

— C’est le marquis de Courtivron, disait celui-ci.

— C’est le colonel Amoros, disait celui-là, qui fait des expériences gymnastiques. — C’est un farceur, ajoutait un troisième. — C’est une gageure, criait le quatrième. Mais personne, entre toutes ces brutes qui partagent avec la girafe le privilège de regarder le ciel en face, ne put deviner, ô passionné et magnanime Rodolphe ! pourquoi tu t’étais jeté du pont Royal en bas, et si quelqu’un d’eux avait su que c’était pour un bonnet de coton, il ne t’aurait pas compris, et aurait dit que tu étais un grand fou ; en quoi il aurait eu certainement tort.

Rodolphe, pimpant et guilleret, aborda en quelques minutes ; comme il ne pouvait s’en aller ainsi trempé, un officieux alla chercher un fiacre ; il y monta et rentra chez lui.

Mariette tomba de son haut en le voyant suant l’eau comme un dieu marin. Rodolphe lui expliqua la chose, et Mariette, qui aimait Rodolphe, quoique ce fût son maître, qu’il la payât fort exactement et lui fît toutes sortes de petits cadeaux, ne rit pas trop fort de sa mésaventure.