Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/221

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

venue ; le soleil vient au-devant de toi par la croisée et tes atomes valsent plus allègrement dans les rais lumineux. La maison est un corps dont tu es l’âme et à qui tu donnes la vie : tu es le centre de ce microcosme. Pourquoi donc vouloir se déplacer et devenir accessoire, lorsqu’on peut être principal ? Ô Rodolphe ! crois-m’en, jette au feu toutes tes enluminures espagnoles ou italiennes. Une plante perd sa saveur à être changée de climat, les pastèques du Midi deviennent des citrouilles dans le Nord, les radis du Nord des raiponces dans le Midi. Ne te transplante pas toi-même, ce n’est que dans le sol natal que l’on peut plonger de puissantes et profondes racines : d’un bon et honnête garçon que tu es, ne cherche pas à devenir un petit misérable bandit, à qui le premier chevrier des Abruzzes donnerait du pied au cul, et qu’il regarderait à juste titre comme un niais. Aime bien Mariette, qui t’aime bien, et, sans te soucier si tu as ou non une tournure d’artiste, fais tes vers comme ils te viendront ; c’est le plus sage, et tu te feras ainsi une existence d’homme qui, sans être très-dramatique, n’en sera pas moins douce, et te mènera par une route unie et sablée au but inconnu où nous allons tous. Si quelqu’un te fait insulte, bats-toi en duel avec lui, mais ne l’assassine pas à la mode italienne, parce que l’on te guillotinerait immanquablement, ce qui me fâcherait fort, car tu vaux trop, quoique tu sois un grand fou.

En faveur de l’amitié que je te porte, pardonne-