Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/257

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bles et très-bourgeois, et vous ne vous figurez pas l’embarras où je suis pour trouver les noms d’une vingtaine de plats assez drôlatiques pour composer la carte de ce merveilleux festin.

Quelle soupe leur ferai-je manger ? du riz au gras ou de la julienne ? Fi donc ! c’est un potage de rentier, de marchand de bonnets de coton retiré. Il me faut un potage fashionable, un potage transcendant. Bon, j’y suis : de la soupe à la tortue. Avez-vous mangé de la soupe à la tortue, vous ? Je veux que le diable m’emporte si j’en ai mangé, moi ; je n’en ai même jamais vu, ni flairé, mais ce n’en doit pas moins être une merveilleuse soupe.

— Après ?

— La tortue, avec sa carapace et du persil dessous, en guise de bouilli.

— Après ?

— Après, après, vous croyez, vous autres, qu’un dîner se compose aussi facilement qu’un poëme. Un cuisinier ferait plutôt une bonne tragédie qu’un auteur tragique ne ferait un bon dîner.

Mais je vois que, si je continue ainsi, je cours grand risque de faire avaler à mes héros des côtelettes de tigre, des beefsteaks de chameau et des filets de crocodile, au lieu de les régaler de mets congrus et approuvés par Carême. Que faire ? Je ne sais qu’un expédient pour me tirer de ce mauvais pas.

— Mariette ! Mariette !

— Plaît-il, monsieur ?

— Apportez-moi votre livre de cuisine.