Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/292

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taient dépareillées quand elles n’étaient pas ensemble, et comprenaient intérieurement que l’une n’était que la moitié de l’autre, et qu’il fallait qu’elles fussent réunies pour former un tout. À la bienheureuse nuit où elles furent conçues, il est probable que l’Ange qui n’avait apporté qu’une âme, ne comptant pas sur deux jumelles, n’avait pas eu le temps de remonter en chercher une seconde, et l’avait divisée entre les deux petites créatures. Cette folle idée s’était tellement enracinée dans mon esprit, que je les avais débaptisées, et leur avais donné un seul nom pour toutes les deux.

Musidora et Clary étaient en proie au même supplice que moi. Un jour, je ne sais si cela se fit de concert ou par un mouvement naturel, elles arrivèrent en courant à ma rencontre, et se jetèrent tout essoufflées contre ma poitrine. Je penchai la tête pour les embrasser comme c’était ma coutume, elles me prévinrent et me baisèrent à la fois chacune sur une joue ; leurs beaux yeux brillaient d’un éclat extraordinaire, leurs petits cœurs battaient, battaient : peut-être était-ce parce qu’elles avaient couru ; mais dans l’instant je ne l’attribuai pas à cela ; elles avaient un air ému et satisfait qu’elles n’avaient pas lorsque je les embrassais séparément. C’est que la sensation était simultanée et que ces deux baisers n’étaient effectivement qu’un seul et même baiser, non pas le baiser de Musidora et de Clary, mais celui de la femme complète qu’elles formaient à elles deux, qui était l’une et l’autre et n’é-