Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/293

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tait ni l’une ni l’autre, le baiser de la sylphide idéale à qui j’avais donné le nom d’Adorata. Cela était charmant, et je fus heureux au moins trois secondes. Mais cette idée me vint, qu’avec cette manière, j’étais passif et non actif, et qu’il était de ma dignité d’homme de ne pas laisser intervertir les rôles. Je réunis dans une seule de mes mains les doigts effilés de Musidora et de Clary, et je les attirai en faisceau jusque sur mes lèvres ; ainsi je leur rendis leur caresse comme elles me l’avaient donnée, et ma bouche toucha la main de Clary en même temps que celle de sa sœur. Elles entrèrent tout de suite dans mon idée, toute subtile qu’elle était, et me jetèrent pour récompense le regard le plus enchanteur que jamais deux femmes en présence aient laissé tomber sur un même homme.

Vous rirez, vous direz que j’étais fou, et que c’est un très-petit malheur que d’être aimé à la fois de deux charmantes personnes ; mais la vérité est que je n’avais jamais été aussi tourmenté de ma vie ; j’aurais possédé Clary, j’aurais possédé Musidora, je n’en aurais certes pas été plus heureux : ce que je voulais était impossible, c’était de les avoir toutes deux en même temps, à la même place. Vous voyez bien que j’avais totalement perdu la tête.

En ce temps-là, il me tomba entre les mains un certain roman chinois de feu le chinois M. Abel Rémusat ; il était intitulé Yu-Kiao-Li, ou les Deux Cousines. Je ne pris pas d’abord un grand plaisir à la description des tasses de thé, et aux improvisa-