Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/302

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Jacobus Pragmater est mort, Berthe est morte ; ils reposent oubliés au fond d’un cimetière de campagne. Tom, le chat favori de Berthe, n’a pas survécu à sa maîtresse : il est mort de douleur sur la chaise vide où elle s’asseyait pour filer, et personne ne l’a enterré, car qui s’intéressait au pauvre Tom, excepté Jacobus Pragmater et la vieille Berthe ?

Moi seul, je suis resté pour me souvenir d’eux et écrire leur histoire, afin que la mémoire ne s’en perde pas.

II

C’était un soir d’hiver ; le vent, en s’engouffrant dans la cheminée, en faisait sortir des lamentations et des gémissements étranges : on eût dit ces soupirs vagues et inarticulés qu’envoie l’orgue aux échos de la cathédrale. Les gouttes de pluie cinglaient les vitres avec un son clair et argenté.

Moi et Maria, nous étions seuls. Assis tous les deux sur la même chaise, paresseusement appuyés l’un sur l’autre, mon bras autour d’elle, le sien autour de moi, nos joues se touchant presque, les boucles de nos cheveux mêlées ensemble si tranquilles, si reposés, si détachés du monde, si oublieux de toute chose, que nous entendions notre chair vivre, nos artères battre et nos nerfs tressaillir. Notre respiration venait se briser à temps