Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/323

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bliothèque. La porte se ferma violemment, comme si quelqu’un l’eût poussée. Un rayon de lune, plus vif et plus chatoyant, traversa les vitres jaunes de la fenêtre.

À sa grande stupéfaction, Pragmater vit descendre sur ce filet de lumière, comme un acrobate sur une corde tendue, un fantôme d’une espèce singulière : c’était le fantôme de mon oncle, c’est-à-dire le fantôme de ses habits ; car lui-même était absent : son habit tombait à longs plis, et, au bout des manches vides, une paire de gants moulait ses mains ; une perruque tenait la place de sa tête, et à l’endroit des yeux scintillait, comme des vers phosphoriques, une énorme paire de besicles. Cet étrange personnage entra droit dans la chambre, et se dirigea droit à la bibliothèque ; on eût dit que les semelles de ses souliers étaient doublées de velours, car il glissait sur les dalles sans que le moindre craquement, le son le plus fugitif pût faire croire qu’il les eût effleurées.

Après avoir touché et déplacé quelques volumes, il enleva de sa planche le Saint Augustin (Elzévir) et le porta sur la table ; puis il s’assit dans le grand fauteuil à ramages, éleva un de ses gants à la hauteur où son menton aurait dû être, ouvrit le livre à un passage marqué par un signet de faveur bleue, comme quelqu’un que l’on aurait interrompu, et se prit à lire en tournant les feuillets avec vivacité.

La lune se cacha ; Pragmater crut qu’il ne pour-