Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/324

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rait point continuer. Mais les verres de ses lunettes, semblables aux yeux des chats et des hiboux, étaient lumineux par eux-mêmes, et reluisaient dans l’ombre comme des escarboucles. Il en partait des lueurs jaunes qui éclairaient les pages du livre, aussi bien qu’une bougie l’eût pu faire. L’activité qu’il mettait à sa lecture était telle, qu’il tira de sa poche un mouchoir blanc, qu’il passa à plusieurs reprises sur la place vide qui représentait son front, comme s’il eût sué à grosses gouttes…

L’horloge sonna successivement, avec sa voix fêlée, dix heures, onze heures, minuit… Au dernier coup de minuit, le fantôme se leva, remit le précieux bouquin à sa place.

Le ciel était gris, les nues, échevelées, couraient rapidement de l’est à l’ouest ; la lune remontra sa face blanche par une déchirure, un rayon parti de ses yeux bleus plongea dans la chambre. Le mystérieux lecteur monta dessus en s’appuyant sur sa canne, et sortit de la même manière qu’il était entré.

Abasourdi de tant de prodiges, mourant de peur, claquant des dents, ses genoux cagneux se heurtant en rendant un son sec comme une crécelle, le digne maître d’école ne put se tenir plus longtemps sur ses pieds : un frisson de fièvre le prit aux cheveux, et il tomba tout de son long à la renverse. Berthe, ayant entendu la chute, accourut tout effrayée ; elle le trouva gisant sur le carreau, sans connaissance, sa main étreignant la chandelle éteinte.