Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/326

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lante jouait avec quelques feuilles jaunes, et deux ou trois plumes blanches, tombées de l’aile des colombes, tournoyaient mollement dans la tiède atmosphère. Ce n’était guère la mise en scène d’une apparition, et un fantôme un peu adroit ne se serait pas montré dans un lieu si positif et à une heure aussi peu fantastique.

Une plate-bande de soleils, un carré de choux, des oignons montés, du persil et de l’oseille, à onze heures du matin, rien n’est moins allemand.

Jacobus Pragmater fut convaincu, cette fois, qu’il n’y avait pas moyen de mettre l’apparition sur le dos d’un effet de lune et d’un jeu de lumière.

Il entra dans la cuisine, tout pâle et tout tremblant, et raconta à Berthe ce qui venait de lui arriver.

— Notre bon maître est mort, dit Berthe en sanglotant : mettons-nous à genoux, et prions pour le repos de son âme !

Nous récitâmes ensemble les prières funèbres. Tom, inquiet, rôdait autour de notre groupe, en nous jetant avec ses prunelles vertes des regards intelligents et presque surhumains ; il semblait nous demander le secret de notre douleur subite, et poussait, pour attirer l’attention sur lui, de petits miaulements plaintifs et suppliants.

— Hélas ! pauvre Tom, dit Berthe en lui flattant le dos de la main, tu ne te chaufferas plus, l’hiver, sur le genou de monsieur, dans la belle chambre rouge, et tu ne mangeras plus les têtes de poisson sur le coin de son assiette !