Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/36

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— Non, certainement. Les détails sont tout ; sans détails, il n’y a pas d’histoire. D’ailleurs, c’est de la couleur locale, et cela donne de la physionomie, répondit dogmatiquement Roderick, — et un pantalon blanc à pied, poursuivit-il, reprenant sa description au point où il l’avait laissée.

— Une vraie tenue de garçon, perruquier ou de souteneur de filles, grogna sourdement Théodore.

— Hein ? fit Roderick ; un hein magistral, aussi terrible que celui de mademoiselle Georges dans Lucrèce Borgia.

Théodore se tut.

— J’allais comptant les pavés, et je n’aurais pas levé les yeux pour l’empire de Trébizonde ; je les levai cependant pour moins. Au bord d’un pavé, j’aperçus un talon, puis au-dessus de ce talon, une jambe assez bien faite, emprisonnée dans un bas de coton bien tiré. Quoiqu’il fît crotté, il n’y avait pas une seule mouche de boue sur le bas, ce qui me fit conclure qu’il appartenait, ainsi que la jambe, à une Parisienne de race. Par-dessus le bas il y avait une jarretière blanche et rouge, une jolie jarretière, sur ma foi ! Ici Roderick poussa un grand soupir, et s’arrêta comme n’étant pas maître de son émotion.

— Et qu’y avait-il au-dessus de la jarretière ? demanda Théodore avec une anxiété risible.

— Il y avait quelque chose apparemment à moins que ce ne fût une jambe qui se promenât toute seule comme la jambe du mécanicien allemand.