Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/35

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de certaines résistances désespérées, il y aurait vraiment de quoi rire.

Ô mon enfant ! moi qui te parle en ce moment, j’ai été un soir sur le point de croire à la vertu ; c’est une histoire qu’il faut que je te conte pour ton instruction particulière : ouvre donc tes oreilles, et tâche de ne pas trop dormir.

— Et en quoi consiste la vertu des hommes ! dit d’un air profond Théodore, profitant de l’instant où Roderick reprenait haleine après sa longue tirade.

— La vertu des hommes n’est pas faite de la même chose ; mais ce n’est pas là qu’est la question, et tu n’éviteras pas mon histoire.

Théodore baissa la tête avec résignation.

— Cordieu ! la langue me pèle, dit Roderick en attirant à lui une bouteille à moitié pleine. Il en but quelques gorgées, et la passa à son camarade.

— Merci, dit son acolyte d’un air de reconnaissance bien sentie.

— Donc, c’était un soir, comme je l’ai déjà donné à entendre. Je revenais de je ne sais où, et j’allais au même endroit. Je marchais machinalement les mains dans mes poches, le chapeau sur l’oreille, un cigare de la Havane, non, c’était un cigare turc, à la bouche, si avancé, qu’il me roussissait les moustaches ; j’avais, je crois, ma redingote à brandebourgs.

— Ne pourrais-tu pas supprimer tous ces détails et venir au fait ? dit Théodore d’un ton désespéré.