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IV

COMMENT JE DEVINS UN PEINTRE DE L’ÉCOLE ANGÉLIQUE

Ces paroles du professeur me jetèrent dans un douloureux étonnement. « Eh quoi ! m’écriai-je, j’ai déjà du chic, et c’est la première fois que je touche une brosse… Qu’est-ce donc que le chic ? » J’étais près de me laisser aller à mon désespoir et de m’enfoncer dans le cœur mon couteau à palette tout chargé de cinabre ; mais je repris courage, et j’entendis au fond de mon âme une voix qui murmurait : « Si ton maître n’était qu’un cuistre !… » Je rougis jusqu’au blanc des yeux, et je crus que tout le monde lisait sur mon visage cette coupable pensée. Mais personne ne parut s’apercevoir de cette illumination intérieure.

Petit à petit, à force de travail, j’en revins à ma manière primitive, je n’employai plus aucune ficelle, et je fis des dessins qui pouvaient rivaliser avec ceux que je griffonnais autrefois sur le dos des dictionnaires ; aussi, un jour, mon professeur, qui s’était arrêté derrière moi, laissa tomber ces paroles flatteuses : « Comme c’est bonhomme ! » À ces mots, je me troublai, et, suffoqué d’émotion, je courbai ma tête sur ses mains, que je baignai de pleurs. Le