Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/377

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tableau qui me valut cet éloge représentait un anachorète potiron tendre dans un ciel indigo foncé, et ressemblait assez à ces images de complaintes gravées sur bois et grossièrement coloriées, que l’on fabrique à Épinal. À dater de ce jour, je me fis une raie dans le milieu des cheveux, et me vouai au culte de l’art symbolique, archaïque et gothique ; les Byzantins devinrent mes modèles ; je ne peignis plus que sur fond d’or, au grand effroi de mes parents, qui trouvaient que c’étaient là des fonds mal placés. André Ricci de Candie, Barnaba, Bizzamano, qui étaient, à vrai dire, plutôt des relieurs que des peintres, et se servaient autant de fers à gaufrer que de pinceaux, avaient accaparé mon admiration : Orcagna, l’ange de Fiesole, Ghirlandaïo, Pérugin, me paraissaient déjà un peu Vanloo ; et, ne trouvant plus l’école italienne assez spiritualiste, je me jetai dans l’école allemande. Les frères van Eyk, Hemling, Lucas de Leyde, Cranach, Holbein, Quintin Metsys, Albert Dürer, furent pour moi l’objet d’études profondes, après lesquelles j’étais en état de dessiner et de colorier un jeu de cartes aussi bien que feu Jacquemin Gringoneur, imagier du roi Charles VI. À cette époque climatérique de ma vie, mon père, après avoir payé une note assez longue chez Brullon, rue de l’Arbre-Sec, me fit cette observation que je devais savoir mon métier et gagner de l’argent ; je répondis que le gouvernement, par un oubli que j’avais peine à concevoir, ne m’avait pas encore donné de chapelle à peindre, mais