Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/61

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Loudun ; tous les livres de sorcellerie qu’il avait lus : Bodin, Delrio, Le Loyer, Bordelon, le Monde invisible de Bekker, l’Infernalia, les Farfadets de M. de Berbiguier de Terre-Neuve du Thym, le Grand et le Petit Albert, et tout ce qui lui parut obscur devint clair comme le jour : c’était le diable qui avait fait avancer l’aiguille, qui avait mis des moustaches à son portrait, changé le crin de ses brosses en fil d’archal et rempli ses vessies de poudre fulminante. Le coup dans le coude s’expliquait tout naturellement ; mais quel intérêt Belzébuth pouvait-il avoir à le persécuter ? Était-ce pour avoir son âme ? ce n’est pas la manière dont il s’y prend ; enfin il se rappela qu’il avait fait, il n’y a pas bien longtemps, un tableau de saint Dunstan tenant le Diable par le nez avec des pincettes rouges ; il ne douta pas que ce ne fût pour avoir été représenté par lui dans une position aussi humiliante que le diable lui faisait ces petites niches. Le jour tombait, de longues ombres bizarres se découpaient sur le plancher de l’atelier. Cette idée grandissant dans sa tête, le frisson commençait à lui courir le long du dos, et la peur l’aurait bientôt pris, si un de ses amis n’eût fait, en entrant, diversion à toutes ses visions cornues. Il sortit avec lui, et comme personne au monde n’était plus impressionnable, et que son ami était gai, un essaim de pensées folâtres eut bientôt chassé ces rêveries lugubres. Il oublia totalement ce qui était arrivé, ou, s’il s’en ressouvenait, il riait tout bas en lui-même. Le lendemain il se remit à l’œuvre. Il