Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/66

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à rire aux éclats et à lui offrir d’ironiques consolations. La colère et la terreur se disputaient l’âme d’Onuphrius : il prit son chapeau et sortit.

La nuit était si noire qu’il fut obligé de mettre son cheval au pas. À peine une étoile passait-elle çà et là le nez hors de sa mantille de nuages ; les arbres de la route avaient l’air de grands spectres tendant les bras ; de temps en temps un feu follet traversait le chemin, le vent ricanait dans les branches d’une façon singulière. L’heure s’avançait, et Onuphrius n’arrivait pas ; cependant les fers de son cheval sonnant sur le pavé montraient qu’il ne s’était pas fourvoyé.

Une rafale déchira le brouillard, la lune reparut : mais, au lieu d’être ronde, elle était ovale. Onuphrius, en la considérant plus attentivement, vit qu’elle avait un serre-tête de taffetas noir, et qu’elle s’était mis de la farine sur les joues ; ses traits se dessinèrent plus distinctement, et il reconnut à n’en pouvoir douter, la figure blême et allongée de son ami intime Jean-Gaspard Debureau, le grand paillasse des Funambules, qui le regardait avec une expression indéfinissable de malice et de bonhomie.

Le ciel clignait aussi ses yeux bleus aux cils d’or, comme s’il eût été d’intelligence ; et, comme à la clarté des étoiles on pouvait distinguer les objets, il entrevit quatre personnages de mauvaise mine, habillés mi-partie rouge et noir, qui portaient quelque chose de blanchâtre par les quatre coins, comme des gens qui changeraient un tapis de place : ils