Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/67

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passèrent rapidement à côté de lui, et jetèrent ce qu’ils portaient sous les pieds de son cheval. Onuphrius, malgré sa frayeur, n’eut pas de peine à voir que c’était le chemin qu’il avait déjà parcouru, et que le Diable remettait devant lui pour lui faire pièce. Il piqua des deux ; son cheval fit une ruade et refusa d’avancer autrement qu’au pas ; les quatre démons continuèrent leur manège.

Onuphrius vit que l’un d’eux avait au doigt un rubis pareil à celui du doigt qui l’avait si fort effrayé sur le damier : l’identité du personnage n’était plus douteuse. La terreur d’Onuphrius était si grande, qu’il ne sentait plus, qu’il ne voyait ni n’entendait ; ses dents claquaient comme dans la fièvre, un rire convulsif tordait sa bouche. Une fois, il essaya de dire ses prières et de faire un signe de croix, il ne put en venir à bout. La nuit s’écoula ainsi.

Enfin, une raie bleuâtre se dessina sur le bord du ciel : son cheval huma bruyamment par ses naseaux l’air balsamique du matin, le coq de la ferme voisine fit entendre sa voix grêle et éraillée, les fantômes disparurent, le cheval prit de lui-même le galop, et, au point du jour, Onuphrius se trouva devant la porte de son atelier.

Harassé de fatigue, il se jeta sur un divan et ne tarda pas à s’endormir : son sommeil était agité ; le cauchemar lui avait mis le genou sur l’estomac. Il fit une multitude de rêves incohérents, monstrueux, qui ne contribuèrent pas peu à déranger sa raison