Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/85

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méchanceté dans cette prunelle qui flamboyait à travers la glace du lorgnon comme l’œil d’un vampire, qu’il était impossible de ne pas le distinguer entre mille.

Il se déganta. Lord Byron ou Bonaparte se fussent honorés de sa petite main aux doigts ronds et effilés, si frêle, si blanche, si transparente, qu’on eût craint de la briser en la serrant ; il portait un gros anneau à l’index, le chaton était le fatal rubis ; il brillait d’un éclat si vif, qu’il vous forçait à baisser les yeux.

Un frisson courut dans les cheveux d’Onuphrius.

La lumière des candélabres devint blafarde et verte ; les yeux des femmes et les diamants s’éteignirent ; le rubis radieux étincelait seul au milieu du salon obscurci comme un soleil dans la brume.

L’enivrement de la fête, la folie du bal étaient au plus haut degré ; personne, Onuphrius excepté, ne fit attention à cette circonstance ; ce singulier personnage se glissait comme une ombre entre les groupes, disant un mot à celui-ci, donnant une poignée de main à celui-là, saluant les femmes avec un air de respect dérisoire et de galanterie exagérée qui faisait rougir les unes et mordre les lèvres aux autres ; on eût dit que son regard de lynx et de loup-cervier plongeait au profond de leur cœur ; un satanique dédain perçait dans ses moindres mouvements, un imperceptible clignement d’œil, un pli du front, l’ondulation des sourcils, la proéminence que conservait toujours sa lèvre inférieure, même