Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/86

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dans son détestable demi-sourire, tout trahissait en lui, malgré la politesse de ses manières et l’humilité de ses discours, des pensées d’orgueil qu’il aurait voulu réprimer.

Onuphrius, qui le couvait des yeux, ne savait que penser ; s’il n’eût pas été en si nombreuse compagnie, il aurait eu grand’peur.

Il s’imagina même un instant reconnaître le personnage qui lui avait enlevé le dessus de la tête ; mais il se convainquit bientôt que c’était une erreur. Plusieurs personnes s’approchèrent, la conversation s’engagea ; la persuasion où il était qu’il n’avait plus d’idées les lui ôtait effectivement ; inférieur à lui-même, il était au niveau des autres ; on le trouva charmant et beaucoup plus spirituel qu’à l’ordinaire. Le tourbillon emporta ses interlocuteurs, il resta seul ; ses idées prirent un autre cours ; il oublia le bal, l’inconnu, le bruit lui-même et tout ; il était à cent lieues.

Un doigt se posa sur son épaule, il tressaillit comme s’il se fût réveillé en sursaut. Il vit devant lui madame de *** qui depuis un quart d’heure se tenait debout sans pouvoir attirer son attention.

— Eh bien ! monsieur, à quoi pensez-vous donc ? À moi, peut-être ?

— À rien, je vous jure.

Il se leva, madame de *** prit son bras ; ils firent quelques tours. Après plusieurs propos :

— J’ai une grâce à vous demander.