Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/88

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

quand il vit qu’Onuphrius allait ouvrir la bouche, il tira de sa poche une spatule d’argent et un réseau de gaze, emmanché à l’un de ses bouts d’une petite baguette d’ébène ; la spatule était chargée d’une substance mousseuse et rosâtre, assez semblable à la crème qui remplit les meringues, qu’Onuphrius reconnut aussitôt pour des vers de Dorat, de Boufflers, de Bernis et de M. le chevalier de Pezay, réduits à l’état de bouillie ou de gélatine. Le réseau était vide.

Onuphrius, craignant que le dandy ne lui jouât quelque tour, changea le fauteuil de place, et s’assit dedans ; l’homme aux yeux verts vint se planter juste derrière lui ; ne pouvant plus reculer, Onuphrius commença. À peine la dernière syllabe du premier vers s’était-elle envolée de sa lèvre, que le dandy, allongeant son réseau avec une dextérité merveilleuse, la saisit au vol, et l’intercepta avant que le son eût le temps de parvenir à l’oreille de l’assemblée ; et puis, brandissant sa spatule, il lui fourra dans la bouche une cuillerée de son insipide mélange. Onuphrius eût bien voulu s’arrêter ou se sauver mais une chaîne magique le clouait au fauteuil. Il lui fallut continuer et cracher cette odieuse mixture en friperies mythologiques et en madrigaux quintessenciés. Le manège se renouvelait à chaque vers ; personne, cependant, n’avait l’air de s’en apercevoir.

Les pensées neuves, les belles rimes d’Onuphrius, diaprées de mille couleurs romantiques, se débat-