Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/98

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moi, et en outre, il savait assez mal le français.

Vous voyez que c’était un personnage de haute espérance que le jeune Daniel Jovard.

Avec de l’étude et du travail, il aurait pu devenir un charmant commis voyageur et un délicieux second clerc d’avoué.

Il était voltairien en diable, de même que monsieur son père, l’homme établi, le sergent, l’électeur, le propriétaire. Il avait lu en cachette au collège la Pucelle et la Guerre des Dieux, les Ruines de Volney et autres livres semblables : c’est pourquoi il était esprit fort comme M. de Jouy, et prêtrophobe comme M. Fontan. Le Constitutionnel n’avait pas plus peur que lui des jésuites en robe courte ou longue ; il en voyait partout. En littérature, il était aussi avancé qu’en politique en religion. Il ne disait pas M. Nicolas Boileau, mais Boileau tout court ; il vous aurait sérieusement affirmé que les romantiques avaient dansé autour du buste de Racine après le succès d’Hernani ; s’il avait pris du tabac, il l’aurait infailliblement pris dans une tabatière Touquet ; il trouvait que guerrier était une fort bonne rime à laurier et s’accommodait assez de gloire, suivi ou précédé de victoire ; en sa qualité de Français né malin, il aimait principalement le vaudeville et l’opéra-comique, genre national, comme disent les feuilletons : il aimait fort aussi le gigot à l’ail et la tragédie en cinq actes.

Il faisait beau, les dimanches soir, l’entendre tonner dans l’arrière-boutique de M. Jovard, contre