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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

Amadis. — Or, comme rien au monde n’est plus insupportable que les caresses d’une personne que l’on commence à n’aimer plus (et n’aimer plus une femme, c’est la haïr violemment), je m’en vais les lui prodiguer de manière à l’indigestionner, et, de toutes les façons, il faudra qu’il m’envoie à tous les diables ou qu’il se remette à m’aimer comme au premier jour, ce qu’il se gardera soigneusement de faire.

Rien n’est mieux imaginé. — N’est-il pas charmant de faire l’Ariane délaissée ? — L’on vous plaint, l’on vous admire, l’on n’a pas assez d’imprécations pour l’infâme qui a eu la monstruosité d’abandonner une créature aussi adorable ; on prend des airs résignés et douloureux, on se met la main sous le menton et le coude sur le genou, de façon à faire ressortir les jolies veines bleues de son poignet. On porte des cheveux plus éplorés, et l’on met, pendant quelque temps, des robes d’une couleur plus sombre. On évite de prononcer le nom de l’ingrat, mais on y fait des allusions détournées, tout en poussant de petits soupirs admirablement modulés.

Une femme si bonne, si belle, si passionnée, qui a fait de si grands sacrifices, à qui l’on n’a pas à reprocher la moindre chose, un vase d’élection, une perle d’amour, un miroir sans taches, une goutte de lait, une rose blanche, une essence idéale à parfumer une vie ; — une femme qu’on aurait dû adorer à genoux, et qu’il faudra couper en petits morceaux, après sa mort, afin d’en faire des reliques : la laisser là iniquement, frauduleusement, scélératement ! Mais un corsaire ne ferait pas pis ! Lui donner le coup de la mort ! — car elle en mourra assurément. — Il faut avoir un pavé dans le ventre, au lieu de cœur, pour se conduire de la sorte.