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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

Ô hommes ! hommes !

Je me dis cela ; mais peut-être n’est-ce pas vrai.

Si grandes comédiennes que soient naturellement les femmes, j’ai peine à croire qu’elles le soient à ce point-là ; et, au bout du compte toutes les démonstrations de Rosette ne sont-elles que l’expression exacte de ses sentiments pour moi ? — Quoi qu’il en soit, la continuation du tête-à-tête n’est plus possible, et la belle châtelaine vient d’envoyer enfin des invitations à ses connaissances du voisinage. Nous sommes occupés à faire des préparatifs pour recevoir ces dignes provinciaux et provinciales. — Adieu, cher.


V


Je m’étais trompé. — Mon mauvais cœur, incapable d’amour, s’était donné cette raison pour se délivrer du poids d’une reconnaissance qu’il ne veut pas supporter ; j’avais saisi avec joie cette idée pour m’excuser devant moi-même ; je m’y étais attaché, mais rien au monde n’est plus faux. Rosette ne jouait pas de rôle, et si jamais femme fut vraie, c’est elle. — Eh bien ! je lui en veux presque de la sincérité de sa passion qui est un lien de plus et qui rend une rupture plus difficile ou moins excusable ; je la préférerais fausse et volage. — Quelle singulière position que celle-là ! — On voudrait s’en aller, et l’on reste ; on voudrait dire : Je te hais, et l’on dit : Je t’aime ; — votre passé vous pousse en avant et vous empêche de vous retourner ou de vous arrêter. — L’on est fidèle avec des regrets de l’être. Je ne sais quelle espèce de honte vous empêche de vous livrer tout à fait à d’autres connaissances et vous fait entrer en composition avec vous-même. On donne à l’un tout ce que l’on peut dérober à l’autre en sauvant les apparences ; le temps et les occasions de se voir qui se pré-