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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

pre dans ce monde ! tout flambeau attire tant de papillons, tout trésor attire tant de voleurs ! — J’aime ces silencieux qui emportent leur idée dans leur tombe et ne la veulent point livrer aux sales baisers et aux impudiques attouchements de la foule. Ces amoureux me plaisent qui n’écrivent le nom de leur maîtresse sur aucune écorce, qui ne le confient à aucun écho, et qui, en dormant, sont poursuivis de cette crainte qu’un rêve ne le leur fasse prononcer. Je suis de ce nombre ; je n’ai pas dit ma pensée, et nul ne saura mon amour… Mais voici qu’il est bientôt onze heures, mon cher Théodore, et je vous empêche de prendre un repos dont vous devez avoir besoin. Quand il faut que je vous quitte, j’éprouve toujours un serrement de cœur, et il me semble que c’est la dernière fois que je vous verrai. Je retarde le plus que je peux ; mais il faut bien s’en aller à la fin. Allons, adieu, car j’ai peur que d’Albert ne me cherche ; adieu, ami.

Théodore lui mit le bras autour de la taille, et la conduisit ainsi jusqu’à la porte : là il s’arrêta, et la suivit longtemps de l’œil ; le corridor était percé de loin en loin de petites fenêtres à carreaux étroits, éclairées par la lune, et qui faisaient une alternative d’ombre et de lumière très-fantastique. À chaque fenêtre, la forme blanche et pure de Rosette étincelait comme un fantôme d’argent ; puis elle s’éteignait pour reparaître plus brillante un peu plus loin ; enfin elle disparut entièrement.

Théodore, comme abîmé dans de profondes réflexions, resta quelques minutes immobile et les bras croisés, puis il passa sa main sur son front, et rejeta ses cheveux en arrière par un mouvement de tête, rentra dans la chambre, et fut se coucher après avoir embrassé au front le page, qui dormait toujours.