Page:Gautier - Portraits du XIXe siècle, Poëtes et romanciers.djvu/282

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leur, méprisant la vie et tâchant d’en tirer tout le parti possible, dédaignant les hommes et tâchant de les exploiter de son mieux, voleur, gouailleur, lubrique, gourmand, paresseux, flâneur, bohémien, industriel, menteur…, au demeurant la plus fine canaille du monde entier. Nazarille, c’est Robert Macaire jeune encore, avec une désinvolture plus leste et des manières plus sémillantes ; c’est Robert Macaire courant les petites aventures au lieu de se lancer dans les grandes affaires. Et tout à côté de ce drôle, Ourliac place d’ordinaire une sorte de Joseph Prudhomme populaire et non pas bourgeois, qu’il appelle Pelloquin. Ce Pelloquin est venu au monde tout exprès pour être le souffre-douleur, le jouet de Nazarille. Oui, Nazarille lui vole son déjeuner puis l’abandonne dans une île sauvage ; puis le met cent fois à deux pas de la mort la plus ridicule ou la plus cruelle : et rien de tout cela, non, rien ne peut lasser l’inaltérable patience de cet admirable Pelloquin. Ce sont là, en vérité, deux créations d’Ourliac. Il semble qu’elles ne soient pas aussi populaires qu’elles le mériteraient. Robert Macaire et Joseph Prudhomme sont encore aujourd’hui dans tout l’éclat de leur gloire : Nazarille, lui, n’est pas connu. Pourquoi ? — C’est qu’Ourliac n’a pas donné à son personnage des contours assez précis : il l’a trop laissé dans une ombre indécise. Il s’est trop servi de l’estompe pour dessiner Nazarille, et pas assez du crayon. Ce coquin devient quelquefois philosophe et dit, ma foi, de fort bonnes choses sur l’humanité qu’il méprise. Ailleurs, il tourne au politique, comme dans le Souverain de Kasakaba, où l’on entend Nazarille faire des allocutions politiques qui n’ont certes rien de parlementaire. Tournez la page, et vous ne trouverez plus que le plus vulgaire de tous les fripons.