Page:Gautier - Tableaux à la plume, Fasquelle, 1880.djvu/167

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de son propre cru. On n’en finirait pas sur ces gentillesses ! Revenons au tableau original découvert sous toutes ces infamies ; il est splendide, intact, beau comme au premier jour !

La forme oblongue de la toile a obligé l’artiste à diviser sa composition en trois groupes principaux, reliés habilement les uns aux autres. On sait l’anecdote, ou, pour parler plus religieusement, le miracle bizarre représenté dans cette peinture. La catholique Espagne, où le soin de l’âme fait si bien oublier le corps, a été de tout temps le pays de la faim. Chez les mondains même, l’étranger s’étonne d’une sobriété qui serait ailleurs le jeûne le plus austère. Les contes rabelaisiens sur les repues franches des moines n’y sont guère de mise ; aussi les frères du couvent où Murillo a placé sa scène manquaient souvent des choses les plus indispensables à la vie. Le saint...., son nom nous échappe, se mettait en prière et, soulevé par les ailes de l’extase, se tenait à genoux en l’air, comme sainte Madeleine dans la Baume, implorant la pitié céleste pour la communauté famélique. Des anges descendaient apportant des provisions aux pauvres moines. Avec sa foi profonde et sérieuse, Murillo n’a pas craint de traiter toute cette partie de sa composition de la façon la plus réelle ou, comme on dirait aujourd’hui, la plus réaliste. Deux grands anges, aux ailes azurées et roses dont le duvet frissonne encore des souffles du