Page:Gautier - Tableaux à la plume, Fasquelle, 1880.djvu/168

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Paradis, portent l’un un lourd cabas de victuailles, l’autre un quartier de viande qu’on croirait détaché à l’instant d’un étal de boucher ; d’autres anges, marmitons divins, à la grande surprise du cuisinier, pilent l’ail dans le mortier, ravivent le feu du fourneau, veillent sur la olla podrida, rangent les assiettes, font reluire les vases de cuivre avec une grâce naïve et noble que Murillo seul était capable de rendre. Il y a dans ce coin des bassines, des poêlons, des casseroles, toute une batterie de cuisine à faire envie à cet art hollandais qui se mire dans un chaudron ; mais ils sont peints avec une largeur historique.

À l’autre bout du tableau, un moine, le supérieur du couvent sans doute, introduit avec précaution un gentilhomme, « chevalier de Saint-Jacques et de Calatrava, » qu’il veut rendre témoin du miracle ; derrière le chevalier s’avance un personnage dont la tête ressemble beaucoup à celle de Murillo et qui pourrait être le peintre lui-même. Ces trois têtes, celle du moine surtout, sont merveilleuses. Elles vivent, elles sortent de la toile et vous racontent par leurs types profondément espagnols toute une croyance, tout un pays, toute une civilisation.

L’Évêque présidant un concile, d’Herrera le vieux, est une des peintures les plus farouches et les plus sauvages qu’on puisse voir. Sans ce Saint-Esprit qui cherche à se poser sur la mitre pointue de l’évêque