Page:Gautier - Tableaux à la plume, Fasquelle, 1880.djvu/246

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Mais arrêtons là cette nomenclature qu’il serait aisé de faire plus longue, car il n’est guère de peintre illustre qui n’ait cédé, une fois dans sa vie, au désir d’arrêter au vol une idée, un caprice, un aspect fuyant, pour en faire une planche à l’eau-forte, et revenons à notre Société des Aqua-fortistes. Cette Société n’a d’autre code que l’individualisme. Chacun doit inventer et graver lui-même le sujet qu’il apporte à l’œuvre collective. Aucun genre ne prévaut, aucune manière n’est recommandée ; on est libre de montrer toute l’originalité qu’on a, et personne ne s’en fait faute. Celui-ci raye brutalement son cuivre à coups de sabre et se contente de quelques traits rudes et sommaires, n’écrivant sa pensée que pour les yeux qui savent lire ; celui-là pousse à l’effet, recroise ses hachures, accumule les travaux ; cet autre cherche l’aspect blond ; un quatrième risque les brusques oppositions de noir et de blanc… Il n’importe ! tout est bien qui signifie quelque chose, et qui montre dans un coin la griffe du lion.

Par cette année si bien remplie, on voit que l’eau-forte se prête à tout ; la réalité comme la fantaisie relèvent de sa pointe. Paysages, intérieurs, animaux, vues du vieux Paris, marines, caprices de toutes sortes, elle sait prêter aux objets les plus divers son pétillement, son esprit et son ragoût. Ce qu’elle ne peut rendre, heureusement pour elle, c’est la fausse grâce, la propreté niaise, le lisse, le ratissé, le flou,