Page:Gauvreau - Au bord du Saint-Laurent, 1923.djvu/25

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comme deux sentinelles à l’entrée d’un port de mer, frappent les yeux.

Sur le plateau qui borde le rivage, en face de la mer, le Bic est bâti, plein de vie, plein d’avenir, recherché des touristes et des amants de la belle et grandiose nature. C’est sur ce plateau qu’étaient venues se fixer les familles sauvages dont nous venons de parler. C’est là qu’elles venaient couler quelques jours d’une vie nonchalante et douce, sans songer que, sur leurs têtes, planait l’aile noire d’une mort atroce.

On était au Bic depuis un mois lorsqu’un soir, deux des jeunes sauvages revenant en toute hâte, d’une partie de chasse, sur le haut des terres, jetaient le cri d’alarme parmi toute la bourgade en avertissant la tribu que les ennemis étaient à une journée de marche du village. Les guerriers, sombres, redressant leur corps courbé, et sans paraître le moins du monde atterrés, se contentent, avec un suprême mépris, de proférer comme s’ils eussent été en face de leurs ennemis le mot injurieux de « Chiens ». Les femmes moins fortes et les enfants craintifs prennent peur et se lamentent, mais les chefs et les anciens de la nation imposent le silence et l’on se consulte.

Les ennemis semblent nombreux, quelques heures seules les séparent du moment suprême où doit retentir le cri de guerre. Fuir ? Impossible car le seul chemin pour se rendre à Matane est le fleuve et l’on n’a pas de canots pour tout le monde ?

Que faire alors ? Le premier mouvement fut d’envoyer à bord des canots les vieillards, les femmes enceintes, ou celles nourrissant leurs petits, en tout 30 personnes, les diriger vers le bas du fleuve, et pour ceux qui restent, rien à faire que de se défendre comme un micmac sait se défendre contre un chien d’Iroquois.

Ces derniers, venus des pays d’en haut, en passant par le fleuve, ont dû remonter la rivière des Trois-Pistoles, tomber dans la Boisbouscache et rencontrer le chemin fréquenté par les Micmacs qu’ils suivent maintenant dans l’espoir de rencontrer l’ennemi séculaire, et goûter un peu du sang et de la chair des guerriers de l’Acadie. Ils ne devaient pas tarder à assouvir leur rage et étancher leur soif.