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velle, comme une traînée de poudre, fit en un clin d’œil le tour du village. À toutes les tables, chez tous les cultivateurs, surtout à la veillée, dans le cercle des fumeux, on ne parle que du George à Mme Dubois ; son air digne et recherché ; sa politesse aisée avait frappé l’œil scrutateur de l’habitant. Mélas eut des admirateurs : il était gros et gras, bien dodu, il allait faire un bon travaillant ; on le disait malin en diable, sarcastique et mordant, au besoin jusqu’au sang.

Pour l’honneur du village, je dirai qu’en cette occasion le colportage n’eut pas besoin d’être monté à grands frais d’orchestre. Cela se fit si vivement que la grande Angèle ne le sut qu’en dernier de tous. Elle faillit en avoir une attaque d’apoplexie, elle qui était sèche et maigre comme un hareng dompté. Si elle eut été superstitieuse, elle aurait accusé certainement sa bonne étoile de lui avoir fait défaut ce soir là. Oh ! elle saura bien reprendre le temps perdu. Temps perdu ! lecteur ! O tempora ! o mores ! ce sont là de nos coups… de théâtre.

— Allons, mon George, viens souper. Tu dois avoir faim ?

— Passablement.

— Tu vas reprendre vite ce que tes études t’ont fait perdre, tu vas voir.

— C’est ce que j’espère, maman. Il me faut engraisser, car voyez-vous, comme disait Mélas, pour travailler il nous faut du lard… sur les côtes. Pas trop, mais assez.

— C’est vrai George. Mais tant que nous vivrons, ton père et moi…