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Ils entrèrent dans cette chambre et regardèrent ce portrait. C’était un chef-d’œuvre de peinture, représentant un chef-d’œuvre de beauté.

« N’est-ce pas, dit Sterny, qu’elle était belle ?

— Ah ! oui, dit Lise avec un doux accent et les mains jointes devant ce portrait, comme si elle eût été en face de la Vierge.

— Voici le portrait de mon père, » dit Sterny à M. Laloine.

Le mari et la femme s’en approchèrent pour le regarder, mais Lise resta devant celui de Mme de Sterny ; ce portrait était animé d’un sourire doux et bienveillant, et un profond soupir s’échappa de la poitrine de Lise. Il lui sembla qu’une femme d’un si céleste visage avait dû donner à son fils quelque chose de l’âme charmante et chaste qui respirait dans ses traits. Ils quittèrent cette chambre, et Lise vint dans le salon le cœur soulagé et presque heureuse.

L’inspection recommença, et Lise retrouva la pantoufle : la pantoufle l’intriguait, mais il était difficile de s’enquérir de son origine. Cependant l’occasion vint d’elle-même ; arrivé à une certaine tablette, Sterny eut a expliquer la valeur des objets qui s’y trouvaient : cette clef avait été faite par Louis XVI, cette cassolette avait appartenu à la reine Anne d’Autriche, ce livre de messe à Mme de Maintenon.

« Et cette pantoufle ?

— Cette pantoufle est à moi, dit Sterny en riant.

— Comment, à vous ? dit Mme Laloine.

— Ah ! reprit Sterny, c’est une des folies de ma jeunesse.

— Ah ! » dit Mme Laloine d’un ton grave, comme si elle eût craint que cette folie ne fût d’une nature équivoque.

Mais Lise n’éprouva pas cette crainte : quelque chose l’assurait que si c’eût été un souvenir peu séant, Léonce ne lui eût pas répondu avec cet air de franchise joyeuse.

« C’est peut-être la pantoufle de Cendrillon ? dit Lise en riant.

— Ah ! c’est bien plus extraordinaire, dit Sterny, elle a fait tourner la tête à un vrai prince, et c’était moi qui la portais.

— Comment cela ? dit M. Laloine.

— Ah ! c’est assez difficile à dire ; mais il y a une dizaine d’années j’avais une petite figure de femme et je ressemblais beaucoup à ma sœur ; M. d’Auterres la recherchait alors en mariage, et se montrait très-jaloux de sa gaieté. Mon beau-frère, car il l’est devenu, est bien certainement un homme d’honneur, mais un rien offensait sa sévérité et sa manie de l’étiquette ; et une fois il avait gravement fait observer à ma mère que