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ma sœur était en pantoufles un jour où se trouvaient dans le salon deux ou trois jeunes gens. Les pantoufles avaient frappé M. d’Auterres comme une inconvenance.

Un soir de carnaval qu’il nous avait quittés en nous disant qu’il allait au bal de l’Opéra, je ne sais quelle folle idée me prit de le tourmenter ; je m’habillai en femme, et en souvenir de son amour de l’étiquette, je mis, au lieu de souliers, les pantoufles de ma sœur.

« Vous avez mis ces pantoufles ? lui dit Lise d’un air incrédule et oubliant à qui elle parlait.

— Mais je pouvais les mettre dans ce temps-là, mademoiselle, » dit Sterny en souriant.

Malgré elle, Lise avait jeté ses regards sur les pieds de Léonce, et ces pieds étaient charmants.

« Que vous dirai-je ? reprit celui-ci presque aussi embarrassé qu’elle, j’arrive à l’Opéra et m’étant fait poursuivre par quelques amis, je me précipite au bras de M. d’Auterres en lui disant :

« Protégez mon honneur !… »

« D’Auterres se retourne, et alors je lui avoue d’une voix tremblante que je suis une fille qui, poussée par une curiosité invincible, s’était échappée de l’hôtel de sa mère pour voir le bal de l’Opéra ; que j’étais tremblante, égarée, perdue. En disant cela, j’avais entraîné M. d’Auterres dans un coin isolé ; je m’étais laissé tomber sur un siège, et tandis qu’il me moralisait en me demandant qui j’étais et en me jurant de me protéger, j’avance le pied, il ne voit rien, je me démène si bien que quelqu’un me heurte et je m’écrie :

« Ah ! on vient de m’écraser le pied. »

« Je l’avance de nouveau, il n’y avait pas moyen de ne pas regarder, M. d’Auterres voit la pantoufle, il devient pâle comme un mort et se tourne vers moi en s’écriant :

« C’est impossible. »

« Alors je feins d’éclater en sanglots, et je lui dis :

« Hélas ! oui, c’est moi ! reconduisez-moi chez ma mère ; venez. »

« Il était si stupéfait, que ce fut moi qui le fis sortir de la salle plutôt qu’il ne me conduisit : nous montâmes dans sa voiture, et alors il sembla reprendre ses sens, pour s’écrier de nouveau : C’est impossible. À ce moment, certain que la lumière des lanternes éclairait assez mon visage pour qu’il pût apercevoir mes traits, sans pouvoir cependant les reconnaître, j’arrache mon masque, et il s’écrie :