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Page:Gay - La Duchesse de Chateauroux - Drame.pdf/17

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MAUREPAS. Ce sont de bonnes nouvelles sans doute, puisqu’on en a chargé monsieur le duc d’Agénois. (Il lit.) Ah ! ah ! le prince Charles nous cède enfin la place.

D’AGÉNOIS. Et nous laisse un grand nombre de prisonniers. Le maréchal a fait des merveilles.

MAUREPAS. Et vous aussi, à ce qu’il me mande. Je le remercie de vous avoir choisi pour nous apporter ces nouvelles importantes.

D’AGÉNOIS. Il y a bien un peu de faveur de la part du maréchal, il sait combien je désirais revoir la cour ; et comme elle s’est rapprochée de nous en venant à Metz, je l’ai supplié de permettre que je vinsse passer ici quelques moments.

MAUREPAS. Vous y trouverez de grands changements, mon cher duc.

D’AGÉNOIS, d’un ton flatteur. Il ne peut y en avoir de très-essentiels, puisque votre excellence vient de travailler avec le roi !

MAUREPAS. Oui, je suis encore utile, et l’on veut bien me confier quelques affaires ennuyeuses, dont on se tirerait difficilement. Le roi en combattant à la tête de ses armées veut que les autres intérêts de l’état n’en souffrent pas. Il m’a ordonné de me rendre à Metz, pour en conférer avec lui, et assister au Te Deum qu’on va chanter tout à l’heure dans la cathédrale. Sa Majesté daigne encore me consulter sur de certains détails ; mais le crédit a passé en d’autres mains, monsieur le duc, et je ne sais pourquoi le maréchal de Noailles s’adresse à moi pour obtenir l’avancement de ses protégés. Il ferait bien mieux pour cela de s’adresser à sa belle cousine.

D’AGÉNOIS. La marquise de la Tournelle ?

MAUREPAS. La marquise de la Tournelle ! ah ! que vous êtes arriéré, mon cher duc ! Quoi ! l’on ne sait pas encore à l’armée qu’il n’est plus question de madame de la Tournelle, et que c’est la duchesse de Châteauroux qui règne aujourd’hui !

D’AGÉNOIS, avec joie. Serait-il vrai ? Le roi ne penserait plus à la marquise ?

MAUREPAS. La duchesse de Châteauroux est maintenant sa passion, sa folie !

D’AGÉNOIS, à part. Quel bonheur !

MAUREPAS. Et pourtant il n’est pas infidèle !

D’AGÉNOIS. Que dites-vous ?

MAUREPAS. Je dis que fatigué des chansons et des calembours que ce nom de la Tournelle inspirait chaque jour à de mauvais plaisants, le roi l’a changé, par l’effet de sa toute-puissance, contre le nom et le titre de duchesse de Châteauroux.

D’AGÉNOIS Ô ciel ! qu’entends-je ?

MAUREPAS. Et que pour prix de ce bienfait et du brillant mariage de sa sœur avec le duc de Lauraguais, madame de Châteauroux daigne tenir les rênes du gouvernement, décider de la paix, de la guerre, faire ou défaire les ministres, distribuer les grades, les faveurs, et qu’elle a de plus le talent de persuader au roi que lui seul fait tout.

D’AGÉNOIS. Ah ! monsieur le comte, la haine vous aveugle.

MAUREPAS. Moi, de la haine pour une jolie femme qui peut être forcée d’abdiquer d’un moment à l’autre et nous rendre tous heureux comme un roi ; non, vraiment ?

D’AGÉNOIS. Quoi ! l’âme la plus noble, la plus fière, se serait abaissée…

MAUREPAS. À suivre l’exemple de ses sœurs ! Quoi de plus naturel ? Il est des maladies de famille qui affligent des générations entières ! celle-ci est en proie à l’amour royal.

D’AGÉNOIS Je ne puis le croire !

MAUREPAS. Sur ce fait, vous pouvez consulter la première personne venue ; elle vous dira sous quel règne nous vivons. La différence qu’il y aura dans les avis, c’est que les uns vous assureront que la duchesse ne rêve que la gloire du roi, que c’est à sa prière qu’il s’est mis à la tête de ses armées ; qu’elle n’a fait le sacrifice de sa vertu que pour le plus grand bien de la France et du roi ; et que d’autres vous affirmeront qu’elle n’agit que par ambition, et que, n’ayant aucun ménagement pour de certaines puissances, elle succombera bientôt sous le poids d’un crédit trop étendu pour être durable ; mais personne ne niera ce crédit, ni ce qu’il lui coûte. Voici votre oncle, qui en sait là-dessus plus que moi, je lui laisse le soin de vous convaincre.

Il sort.





Scène II.

LE DUC DE RICHELIEU, LE DUC D’AGÉNOIS.


RICHELIEU À son accablement je devine que Maurepas ne s’est pas refusé le plaisir de lui tout apprendre. (Haut.) Allons, mon ami, du courage. Je n’ai pas voulu t’écrire ce qui se passait ici, parce que ces sortes de nouvelles arrivent toujours trop tôt ; mais tu devais t’y attendre, car si madame de la Tournelle était flattée de ton amour, elle n’y répondait que par de l’amitié ; cela suffit, j’en conviens, tant qu’un autre amour ne vient pas tourner la tête… mais…