Page:Gayda - Ce brigand d’amour !, 1887-1888.djvu/2

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Bientôt, apporté par les souffles paisibles de la brise alanguie, lui arriva un écho lointain, bruit vague de clochettes et de chanson.

— Enfin, dit-elle, la voici qui rentre…

Mais, lorsque les sons se rapprochèrent, devenant plus distincts, sa lèvre se plissa soudain et une lueur de colère emplit ses yeux.

— La gueuse ! cria-t-elle, encore avec lui…

En effet, dominant le bêlement triste des brebis et le tintement grave de leurs sonnailles au battant de bois, une voix d’homme, mâle et forte, se faisait entendre, qui chantait en patois provençal la romance populaire de Félix Gras :

Guihèn de Cabestang
Amo dono gentiho :
Gentiho l’es bèn tant,
Qu’en touto la Castiho
     Jamai
S’éro vist talo flour de Mai…

Quelques minutes s’écoulèrent, au bout desquelles la voix éclata tout près comme une fanfare, lançant le dernier couplet :

Sias un traite marit
La dono alors s’escrido…


et derrière le troupeau apparut, au tournant du chemin, une superbe jeune fille, aux traits réguliers, brunie par le soleil, coiffée d’un foulard de coton à carreaux retenant avec peine une ample chevelure noire, et n’ayant pour tout vêtement, sur la rude chemise moulant un torse de Vénus rustique, qu’un épais cotillon de laine attaché sur ses hanches robustes. À côté d’elle, le bissac sur l’épaule et la hache à la ceinture, marchait un jeune homme, aux formes d’athlète, visibles malgré la coupe primitive de la blouse bleue et du pantalon de bure rapiécé aux genoux avec des carrés de velours noir.

À leur arrivée, la vieille ayant réfléchi se contint, pensant que les choses ne devaient pas être encore trop avancées, puisqu’ils marchaient ainsi sans embarras, plus occupés de chanter que de se parler d’amour. Elle répondit au « bonsoir » poli du jeune homme par un autre « bonsoir, Pierre ! » très sèchement articulé, et se contenta de gourmander la jeune fille à propos de son retard. Puis, sans mot dire, elle l’aida à enfermer le troupeau dans la bergerie, où les agneaux accueillaient par d’interminables cris la rentrée de leurs mères. Mais une fois chez elle, devant le père abruti qui, lassé