Page:Gayda - Ce brigand d’amour !, 1887-1888.djvu/3

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d’attendre, s’était mis à manger la soupe au coin du feu, la vieille donna enfin libre cours à sa colère et Marion reçut une fière danse.

Tout estomaquée, la pauvrette ne fut pas longtemps à souper. Et comme les pleurs qu’elle laissait tomber dans son assiette et les sanglots qu’elle essayait en vain de comprimer agaçaient sa mère qui menaçait de la battre encore, elle eut vite fait de tout ranger dans la cuisine, et elle courut à sa chambre, afin de pouvoir pleurer à l’aise.

De son lit, elle entendait sa mère crier toujours et, la figure cachée dans les draps mouillés de ses larmes, elle se demandait quel mal elle avait commis en se laissant courtiser par ce beau gars de bûcheron qui la trouvait belle. Puisqu’il l’aimait vraiment d’amour et qu’elle-même l’aimait aussi ; puisque tous deux s’étaient promis de s’épouser au prochain automne, pourquoi lui défendait-on de le voir et de lui parler ? Que faisait-elle en cela autre chose que toutes les jeunes femmes qu’elle connaissait n’eussent fait librement, aux yeux de tous, avant leur mariage ? Elle se lamentait aussi, le cœur brisé à l’idée qu’on lui défendait cet attachement auquel elle s’était doucement habituée sans le croire à ce point profond. Quelque chose s’effondrait en elle, et il lui semblait qu’elle mourrait maintenant si on l’empêchait d’aimer son Pierre…

Puis, instinctivement, elle se reporta aux premiers jours ou leur commune passion avait commencé.

Elle revoyait la grande salle basse du régisseur où les gens de la ferme passaient les veillées auprès du foyer, l’hiver dernier ; elle se rappelait les longues et si belles histoires que Pierre y racontait, la voix claire et vibrante qu’il avait, lui si rude à l’ordinaire, pour chanter, dans la langue harmonique et sonore de son pays, la romance de Magali ; elle retrouvait l’émotion délicieuse des anciennes caresses, des pinçons, des bourrades câlines, des furtifs serrements de mains dans les coins, avec la peur d’être surpris ; elle se répétait les paroles prononcées par lui et qu’elle n’avait jamais oubliées depuis, le soir où il lui avait avoué son amour, là-bas, dans la grande bruyère où il coupait des fagots ; elle ressentait de nouveau l’ivresse inouïe du premier vrai baiser… Comme tout cela était loin désormais… Hélas ! c’était fini, bien fini… Ce n’était plus qu’un rêve ! Et elle se révoltait, cherchant à comprendre pourquoi on lui déchirait l’âme de la sorte.

Mais, en bas, dans la cuisine, il lui semblait que le père parlait à présent. Curieuse, elle se leva en chemise, pour écouter à travers la porte.

— J’voudrions ben savoir, disait-il, pourquoi q’tu te fâches