Page:Gerès - Sériac, 1888.djvu/3

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Quand un homme a mené six mois une semblable existence, son énergie s’émousse et il devient presque entièrement réfractaire à tout acte de volonté. C’est ainsi que, pour son malheur, Sériac fut heureux cinq années, sans que la prospérité fidèle parût une seule fois faire mine de le bouder. Mais il était devenu son esclave, sa chose et le jour n’était pas loin, où il allait sentir tout le poids de la chaîne ; car, lasse de son favori, cette fortune capricieuse lui réservait, après tant d’autres, de cruelles fantaisies ; alors, effrayé de l’isolement et du vide, n’étant plus rien sans elle, il ira, pour la retenir à son logis, jusqu’aux plus honteuses capitulations.

L’amour habite peu souvent les cœurs ambitieux ; l’avidité et lui semblent d’humeur incompatible et l’on en chercherait vainement la trace dans le monde où Sériac s’est lancé. Tout y procède de la cupidité : la femme se trouve être l’objet d’un désir charnel, vulgaire et ne laisse après elle que la satisfaction bestiale d’une jouissance matérielle. C’est un plaisir, le premier peut-être, mais ce n’est qu’un plaisir parmi tous ceux que procure la richesse. Et si l’on rencontre quelques exemples d’attachement durable, résistant à toutes les fantaisies, s’en accommodant même, il faut les attribuer autant à la routine qu’à cette bizarrerie, qui se joue du cœur humain et le rend insaisissable. Est-ce l’aveuglement, l’intérêt, le charme ? — On ne sait. Tantôt l’un, tantôt l’autre, quelquefois l’un et l’autre, et le tout conduit jusqu’à la sympathie peut-être, rarement jusqu’à l’amour.

Ainsi pourrait-on expliquer comment, en dépit d’une disproportion d’âge assez considérable, Sériac avait persévéré dans ses relations avec une femme, d’ailleurs jolie, et, tout en cultivant la variété dans les aventures galantes et les amours faciles, avait fini par en faire sa maîtresse. Elle comptait bien pourtant dix années de plus que lui. Par son physique, il est vrai, chacun d’eux comblait cette distance : celui-ci, avec sa nature exubérante, ses cheveux et sa barbe de geai, son teint brûlé, sa large carrure, vieillissait, d’autant qu’elle-même rajeunissait, grande, blonde, les yeux vifs, bien prise dans sa taille élégante et toute frétillante encore, sous l’allure d’une démarche légère et gracieuse. Quoiqu’elle eût envié les égards et qu’elle jouât à la femme posée, son amant lui avait donné nom Follette. Mais cette licence n’appartenait qu’à lui ; les étrangers, eux, gardaient les distances. Plus jeune, elle avait occupé — ou tout au moins le croyait-on — les loisirs de personnalités en vue ; une certaine fortune s’en était suivie et tous ces boursiers, qu’elle n’avait jamais fréquentés, pensant voir dans son attachement pour Sériac un caprice désintéressé, respectaient en elle le sentiment, qui lui