Page:Gerès - Sériac, 1888.djvu/4

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faisait sacrifier à un homme l’indépendante situation qu’elle avait conquise.

Au milieu de tout ce monde qui se laissait vivre au gré de sa folie, Follette seule n’était pas folle et poursuivait son but. Elle avait rencontré cet homme, peut-être plus audacieux qu’intelligent, plus heureux qu’habile ; persuadée que la destinée de ces grands joueurs n’est rien moins que précaire, elle attendait patiemment son heure, se réservant, elle et son bien, pour le moment où Sériac, emporté par une spéculation malheureuse, serait entièrement à sa merci et se livrerait sans conditions. Aussi le laissait-elle à ses plaisirs, s’estimant assez secondée dans ses desseins par la préférence qu’il lui accordait. Elle se serait bien gardée de jouer à la maîtresse jalouse : la première place lui suffisait, quel que fût le nombre des concurrentes. Et tandis que lui, dissipait au jour le jour le meilleur de ses bénéfices, elle calculait au contraire que c’était là le seul moyen d’empêcher des réserves qui eussent pu, à l’heure de l’effondrement, amortir la chute et préserver de la ruine. Sans cela, tout son plan eût échoué.

Et les événements survinrent tels qu’elle les avait prévus.

Depuis quelques jours, Sériac rentrait chez lui, préoccupé, soucieux, comme un homme tourmenté par des affaires incertaines. Mal engagé dans ses dernières opérations, il pressentait un irréparable désastre. Sans ressource derrière lui, comment essuyer une tempête qui lui engloutirait peut-être plus d’un demi-million ? Il faudrait payer ou sauter, suivant l’énergique vocabulaire de l’endroit. Non seulement c’était la déconfiture, mais encore l’impossibilité absolue de reconquérir une fortune ; son crédit perdu, les portes de la Bourse fermées à jamais, il ne lui resterait plus qu’à fuir et à chercher sous un autre ciel une destinée meilleure. Encore était-il besoin de courage pour affronter la médiocrité et savoir redevenir dépendant et petit ? Or il avait abusé de la vie, sa volonté ne pouvait plus un semblable effort et impuissant, malgré ses trente ans, déjà lassé par la seule idée de la lutte, il songea au suicide !

Follette, pendant ce temps, se tenait au courant des affaires ; instruite de la position de son amant, elle redoublait d’autant plus de prévenance que les circonstances s’aggravaient davantage. En réalité, elle était là, guettant sa proie et tellement persuadée de la saisir à bref délai, que l’émotion et les nerfs s’étaient retirés, comme pour la laisser en pleine possession d’elle-même. Et le soir de la débâcle, avant qu’il eût prononcé le moindre mot :

— « Je sais ce qui se passe, lui dit-elle… Oh ! n’essaie pas de feindre… Je suis si bien renseignée que j’ai tout prévu pour empêcher ta ruine… et si tu acceptes, je puis te sauver ».