Page:Germaine de Stael - Lettres et pensées du maréchal prince de Ligne, Paschoud, 1809.djvu/328

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L’Esprit. Capucin, mon ami, vous avez donc lu Alzire ?

Le Cap. J’ai fait plus, je l’ai vu jouer cent fois ; et, sans considérer Voltaire, Rousseau, Montesquieu comme des Pères de l’Église, je parte tirer d’eux de quoi faire un livre de dévotion, presque un catéchisme. Je les crois plus de notre parti que du vôtre ; ils ne se sont mis de votre côté que pour dire des plaisanteries fort drôles, mais que vous avez prises au pied de la lettre. Je vous aurois bien attrapé. Messieurs, si j’avois été leur Curé. Si je n’avois pas pu les persuader à l’heure de la mort, ce qu’auroit peut-être fait le Capucin indigne, je serois sorti de chez eux avec l’air content, et j’aurois dit qu’ils étoient morts comme des saints. Sans aller au Japon, j’aurois acquis plus d’ames que tous les Missionnaires ; celles de la bonne compagnie d’autrefois et de la mauvaise de ce tms-ci, qui ne se damne que par air.

L’Esprit. Tu aurois donc menti ?

Le Cap. J’en aurois demandé pardon à Dieu, qui auroit bien vu que c’étoit pour le mieux servir, et qui me l’auroit accordé.

L’Esprit. Qui t’a porté à prendre cet état ?

Le Cap. La philosophie.

L’Esprit. En voilà bien d’une autre ! C’est nous autres qui sommes philosophes.

Le Cap. Je sais bien qu’on est assez bête pour vous en donner le titre, mais c’est par les effets que je juge votre philosophie.

L’Esprit. Y en a-t-il à être dupe de tout ?

Le Cap. Y en a-t-il à n’être dupe de rien ?