Page:Germaine de Stael - Lettres et pensées du maréchal prince de Ligne, Paschoud, 1809.djvu/342

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de ses prétendus ennemis, la conjuration de toute l’Europe contre lui, m’auroient fait de la peine s’il n’y avoit pas mis tout le charme de son éloquence. Je tâchai de le tirer de là pour le ramener à ses jeux champêtres. Je lui demandai comment, lui qui aimoit la campagne, étoit allé se loger au milieu de Paris ? Il me dit alors ses charmans paradoxes sur l'avantage d’écrire en faveur de la liberté lorsqu’on est enfermé, et de peindre le printems lorsqu’il neige. Je parlai de la Suisse, et je lui prouvai, sans en avoir l’air, que je savois Julie et Saint-Preux par cœur. Il en parut étonné et flatté. Il s’aperçut bien que sa Nouvelle Héloïse étoit le seul de ses ouvrages qui me convînt, et que quand même je pourrois être profond, je ne me donnerois pas la peine de l’être. Je n’ai jamais eu tant d’esprit (et ce fut, je crois, la première et la dernière fois de ma vie) que pendant les huit heures que je passai avec Jean-Jacques dans mes deux conversations. Quand il me dit définitivement qu’il vouloit attendre dans Paris tous les décrets de prise-de-corps dont le clergé et le parlement le menaçoient, je me permis quelques vérités un peu sévères sur sa manière d’entendre la célébrité. Je me souviens que je lui dis : Monsieur Rousseau,