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DE L’EMPIRE ROMAIN. CHAP. IV.

arbitraire. Non-seulement un criminel opulent obtenait avec facilité la révocation de la sentence qui le condamnait, mais il pouvait aussi faire retomber la peine sur l’accusateur, les témoins et le juge, et ordonner même de leur supplice.

Dans l’espace de trois ans, Cléandre amassa des trésors immenses : on n’avait point encore vu d’affranchi posséder tant de richesses[1]. Commode, séduit par les présens magnifiques que l’habile courtisan déposait à propos au pied du trône, fermait les yeux sur sa conduite. Cléandre crut aussi pouvoir imposer silence à l’envie. Il fit élever, au nom de l’empereur, des bains, des portiques, et des places destinées aux exercices publics[2]. Il se flattait que les Romains, trompés par cette libéralité apparente, seraient moins touchés des scènes sanglantes qui frappaient tous les jours leurs regards ; il espérait qu’ils oublieraient la mort de Byrrhus, sénateur d’un mérite éclatant, et gendre du dernier empereur, et qu’ils perdraient le souvenir de l’exécution d’Arius Antoninus, le dernier qui eût hérité du nom et de la vertu des Antonins. L’un, plus vertueux que prudent, avait essayé de découvrir à son beau-frère le véri-

  1. Dion-Cassius (l. LXXII, p. 1213) observe qu’aucun affranchi n’avait encore possédé autant de richesses que Cléandre : la fortune de Pallas se montait cependant à plus de cinq cent vingt mille livres sterl., ter millies, H. S.
  2. Dion, l. LXXII, p. 1213 ; Hérodien, l. I, p. 29 ; Hist. Aug., p. 52 : ces bains étaient situés près de la porte Capêne. Voyez Nardini, Roma antica, p. 79.