Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 1.djvu/361

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accoutumés à une exception singulière. Nous voyons souvent une femme reconnue souveraine d’un grand royaume, où elle n’aurait point été jugée capable de posséder le plus petit emploi civil ou militaire. Mais comme les empereurs romains représentaient toujours les généraux et les magistrats de la république, leurs femmes et leurs mères, quoique distinguées par le nom d’Augusta, ne furent jamais associées à leurs dignités personnelles. Ces premiers Romains, qui se mariaient sans amour, ou qui n’en connaissaient ni les tendres égards, ni la délicatesse, auraient vu dans le règne d’une femme un de ces prodiges dont aucune expiation ne pourrait détourner le sinistre présage[1]. La superbe Agrippine voulut, il est vrai, partager les honneurs de l’empire, qu’elle avait fait passer sur la tête de son fils ; mais elle s’attira la haine de tous ceux des citoyens qui respectaient encore la dignité de Rome, et sa folle ambition échoua contre les intrigues et la fermeté de Sénèque et de Burrhus[2]. Le bon sens ou l’indifférence des successeurs de Néron, les empêcha de blesser les préjugés de leurs sujets. Il était réservé

  1. « Si la nature eût été assez bienfaisante pour nous donner l’existence sans le secours des femmes, nous serions débarrassés d’un compagnon très-importun. » C’est ainsi que s’exprima Métellus-Numidicus le Censeur devant le peuple romain ; et il ajouta que l’on ne devait considérer le mariage que comme le sacrifice d’un plaisir particulier à un devoir public. (Aulu-Gelle, I, 16.)
  2. Tacite, Annal. , XIII, 5.