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Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 5.djvu/188

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imprudemment tirée dans cette dispute accidentelle répandit le premier sang, qui devint le signal funeste d’une guerre longue et destructive. Au milieu du bruit et des excès de l’intempérance, Lupicinus apprit, par un avis secret, que plusieurs de ses soldats avaient perdu leurs armes et la vie. Échauffé par le vin et troublé par le sommeil, le général romain ordonna, sans réflexion, de les venger par le massacre des gardes de Fritigern et d’Alavivus. Les cris perçans et les gémissemens des mourans avertirent Fritigern de son extrême danger. Il sentit qu’il était perdu s’il donnait le moment de la réflexion à celui qui venait de lui faire une si cruelle injure, et conservant l’intrépidité tranquille d’un héros : « Il semble, dit-il aux Romains d’un ton ferme mais doux, qu’il s’est élevé quelque dispute entre les deux nations : elle peut avoir les suites les plus funestes si nous ne nous hâtons de calmer le tumulte en tranquillisant nos troupes sur notre sûreté et en les contenant par notre présence. » À ces mots, Fritigern et ses compagnons tirèrent leurs épées et s’ouvrirent sans peine un chemin à travers la foule qui remplissait les cours du palais, les rues, et jusqu’aux portes de la ville, où ils montèrent précipitamment à cheval, et disparurent aux yeux des Romains étonnés. À leur arrivée au camp, l’armée les reçut avec des acclamations de joie et de fureur. La guerre fut immédiatement résolue et commencée sans délai. Ils déployèrent l’étendard national, selon la coutume de leurs ancêtres, et l’air retentit du son perçant et lugubre de la trom-