Page:Gide - Les Nourritures terrestres.djvu/137

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térieuse précieusement recueillie. (J’ai vu de même recueillir la résine des pins, la gomme maladive de merisiers, le lait des figuiers élastiques, le vin des palmiers étêtés.) — Fiole étroite ; toute une vague d’ivresse, en toi, se concentre, déferle ; l’essence, avec tout ce qu’il y avait de délicieux, de puissant dans le fruit ; de délicieux et de parfumé dans la fleur. — Alambic ; ah ! goutte d’or qui va suinter. (Il y en a de plus sapides que le jus concentré des cerises ; d’autres parfumées comme les prés.) Nathanaël ! c’est là vraiment une vision miraculeuse ; il semble qu’un printemps tout entier se soit ici tout concentré… Ah ! que mon ivresse à présent théâtralement me le déploie. Que je boive, enfermé dans cette salle très obscure et dont je ne m’apercevrai plus — que je boive de quoi redonner à ma chair — et pour libérer mon esprit, la vision de tout l’ailleurs que je souhaite…

*

La huitième porte est celle des remises.

— Ah ! j’ai brisé ma coupe d’or — je me réveille — l’ivresse n’est jamais qu’une substitution du bonheur : — Berlines ! toute fuite est possible ; traîneaux, pays glacé, j’attelle à vous mes désirs. — Nathanaël, nous irons vers les choses ; nous atteindrons successivement à tout. Nous ne nous arrêterons que délicieusement. J’ai de l’or dans les fontes de ma selle ; dans mes coffres des fourrures qui feraient presque aimer le froid. Roues ! qui compterait vos tours dans la fuite. Calèches, maisons légères, pour nos délices suspendues, que notre fantaisie vous enlève ! Charrues, que

des bœufs sur nos champs vous promènent ! creusez la