Page:Gide - Les Nourritures terrestres.djvu/55

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il n’est plus pour toi profitable. Il faut le quitter. Rien n’est plus dangereux pour toi que ta famille, que ta chambre, que ton passé…… Ne prends de chaque chose que leur éducation ; et que la volupté qui te vient d’elles te les épuise.

Nathanaël, je te parlerai des instants… As-tu compris de quelle force est leur présence ?… Une pas assez constante pensée de la mort n’a donné pas assez de prix au plus petit instant de ta vie… Et ne comprends-tu pas que chaque instant ne prendrait pas cet éclat admirable, sinon détaché pour ainsi dire sur le fond très obscur de la mort ?

— Je ne chercherais plus à rien faire, s’il m’était dit, s’il m’était prouvé, que j’ai pour cela tout le temps ; — je me reposerais d’abord d’avoir voulu commencer quelque chose, ayant le temps de faire aussi toutes les autres. Ce que je ferais ne serait jamais que n’importe quoi… s’il m’était prouvé que, au moins, cette forme de vie ne devait finir — et que je ne m’en reposerai pas, l’ayant finie, dans un sommeil un peu plus profond, un peu plus oublieux que celui que j’attends chaque nuit…